La langue française évolue, c’est un fait. Cela dit, est-ce une raison suffisante pour laisser se généraliser l’usage de tournures induisant des erreurs de sens ou un appauvrissement de notre vocabulaire ?
Dans la ligne de mire de L’Œil de Lyncée aujourd’hui, deux « petites horreurs du quotidien » trop souvent vues et entendues, et qui maltraitent nos yeux et nos oreilles…
Non, je n’irai pas sur Paris !
Voilà des années que cette mauvaise habitude est apparue d’aller sur Paris, de vivre sur Grenoble, de travailler sur Bordeaux… Pourtant, les dictionnaires sont unanimes sur l’aspect fautif de cette construction.
Citons par exemple le Dictionnaire d’orthographe et des difficultés du français (Le Robert, collection Les usuels) : « L’emploi de la préposition sur devant un nom de lieu où l’on est ou où l’on va est fautif : il faut dire partir pour Paris (et non sur Paris, ni même à Paris), travailler à Dunkerque (et non sur Dunkerque), se diriger vers Lyon (et non sur Lyon), etc. »
À l’origine de ce mauvais usage, deux expressions sans doute…
- « Aller sur + nombre d’années d’âge » (par exemple : elle va sur ses soixante-treize ans) : comme le précise le Dictionnaire des difficultés de la langue française (Larousse), utiliser la préposition « sur » avec le verbe « aller » est acceptable dans cette tournure, mais relève alors d’un registre familier.
- « Marcher sur + une personne ou un lieu » (par exemple : marcher sur Rome) : il y a bien l’idée de s’avancer vers quelque chose, donc d’aller d’un point à un autre, mais avec une nuance de menace. Le Trésor de la langue française donne d’ailleurs la définition suivante : « Se diriger vers un but (lieu, personne) dans un dessein généralement précis (d’hostilité, de conquête, de menace). »
Initier un projet… Quelle curieuse idée !
« Initié par le conseil régional, ce salon a pour but de… » ; « Cette manifestation, initiée par la direction opérationnelle… » : bien qu’assez récent, cet usage du verbe « initier » se généralise à toute vitesse dans les médias.
Rappelons sa définition donnée par Le Petit Robert, dans son édition 2011 :
- Admettre à la connaissance et à la participation de certains cultes ou de certains rites secrets.
- Admettre (quelqu’un) à la connaissance d’un savoir peu répandu.
- Être le premier à instruire, à faire accéder (quelqu’un) à des connaissances.
L’utilisation dans le sens de « faire démarrer un processus, une réaction, avoir l’initiative d’un projet » est en fait un pur anglicisme, issu de to initiate, dont l’emploi est critiqué.
En effet, les synonymes, à choisir selon le contexte, ne manquent pas : amorcer, commencer, entamer, entreprendre, ouvrir, mettre en route, débuter, lancer, démarrer… La Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française nous propose à ce titre plusieurs exemples bien utiles.
Après tout, si de nombreux anglicismes sont riches d’apports pour la langue française, pourquoi y avoir systématiquement recours quand notre vocabulaire nous permet d’exprimer la même idée ?
Et que dire du privé devenu privatif ?
Privatif : qui prive de…
Exemple : un suffixe privatif.
Aujourd’hui, le jardin privatif est souvent un argument avancé pour vendre un bien immobilier.
Pourtant, une maison avec jardin privatif ne serait-elle pas une sorte de maison avec un jardin… privé de jardin ?
Bien vu, Laurent !
L’expression « jardin privatif » est correcte, mais non appropriée ici, car c’est au domaine juridique que fait référence cette tournure. Le Larousse définit cet usage de « privatif » de la manière suivante : « Sur quoi une personne déterminée a un droit exclusif.»
Cependant, dans ce contexte, l’adjectif « privé » aurait bien suffi, car c’est certainement plus à la notion de propriété exclusive que les agents immobiliers font référence pour mettre un bien en valeur…
Un bel exemple de snobisme par l’utilisation d’un mot à consonance plus savante, du même acabit que « volumétrie » pour « volume » ou encore l’agaçant « problématique » à la place de « problème ».