Une « nouvelle orthographe » qui date

 

Exemple de logo libre de droits

Farfelue, trop légère, indispensable, inutile, complexe, insensée… La réforme de l’orthographe alimente les débats et divise toujours autant, de nombreuses années après son instauration, en 1990.

Car instaurer ne signifie pas appliquer : l’emploi de la « nouvelle orthographe » est recommandé, certes, mais pas obligatoire. Et c’est peut-être là que le bât blesse…

Rafraîchissons-nous la mémoire, pour commencer : les rectifications concernent 2 000 mots. En partie proposées par l’Académie française, ces dernières ont pour but  « d’unifier la graphie de certains mots, de supprimer certaines incohérences, de clarifier des situations confuses pour contribuer ainsi au renforcement, à l’illustration et au rayonnement de la langue française à travers le monde ». (Source : La nouvelle orthographe, parlons-en !, document mis au point par l’Association pour la nouvelle orthographe.)

 

Le contenu de la réforme

 

Dans sa brochure, l’Association pour la nouvelle orthographe récapitule les règles énoncées par la réforme :

  • Les numéraux composés sont systématiquement reliés par des traits d’union.

Exemple : vingt-et-un, deux-cents, un-million-cent, trente-et-unième

  • Dans les noms composés du type pèse-lettre (verbe + nom) ou sans-abri (préposition + nom), le second élément prend la marque du pluriel seulement et toujours lorsque le mot est au pluriel.

Exemple : un compte-goutte, des compte-gouttes ; un après-midi, des après-midis

  • On emploie l’accent grave plutôt que l’accent aigu dans un certain nombre de mots, au futur et au conditionnel des verbes qui se conjuguent sur le modèle de céder.

Exemple : évènement, règlementaire, je cèderai, ils règleraient

  • L’accent circonflexe disparaît sur i et u, sauf dans les terminaisons verbales du passé simple, du subjonctif et dans cinq cas d’ambiguïté.

Exemple : cout ; entrainer, nous entrainons ; paraitre, il parait

  • Les verbes en -eler et -eter se conjuguent sur le modèle de peler ou acheter. Les dérivés en -ment suivent les verbes correspondants. Exceptions : appeler, jeter et leurs composés (y-compris interpeller).

Exemple : j’amoncèle, amoncèlement, tu époussèteras

  • Les mots empruntés forment leur pluriel de la même manière que les mots français et sont accentués conformément aux règles qui s’appliquent aux mots français.

Exemple : des matchs, des miss, révolver

  • La soudure s’impose dans un certain nombre de mots anciennement joints par un trait d’union : les mots composés de contr(e)- et entr(e)-, les mots composés de extra-, infra-, ultra-, les mots composés avec des éléments « savants », les onomatopées et les mots d’origine étrangère.

Exemple : contrappel, entretemps, extraterrestre, tictac, weekend, portemonnaie

  • Les mots anciennement en -olle et les verbes anciennement en -otter s’écrivent avec une consonne simple, de même que les dérivés du verbe. Exceptions : colle, folle, molle et les mots de la même famille qu’un nom en –otte, comme botter, issu de botte.

Exemple : corole ; frisoter, frisotis

  • Le tréma est déplacé sur la lettre u prononcée dans les suites -güe et -güi, et est ajouté dans quelques mots.

Exemple : aigüe, ambigüe ; ambigüité, argüer

  • Comme celui de faire, le participe passé de laisser suivi d’un infinitif est invariable.

Exemple : elles se sont laissé prendre au jeu

  • Certaines anomalies sont supprimées.

Exemple : asséner, assoir, charriot, joailler, relai

 

Des années plus tard, un usage encore limité

 

Le moins que l’on puisse dire est que cette réforme est loin de faire l’unanimité dans la presse, l’édition ou même l’enseignement. Souvent décriée et accusée d’appauvrir la langue française en gommant des éléments étymologiques, notamment, nombreux sont ceux qui ne l’appliquent pas, et c’est leur droit. Après tout, le Bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale rappelle, dans son édition du 3 mai 2012, que, dans l’enseignement, « aucune des deux graphies (ancienne ou nouvelle) ne peut être tenue pour fautive ». Les autres pays francophones (Belgique, Suisse, Québec) ne sont pas mieux lotis : là encore, la consigne officielle est de faire cohabiter les deux orthographes pour une durée indéterminée. Pas étonnant dans ces conditions que même les dictionnaires tardent à intégrer les rectifications, plus de vingt après leur mise au point…

S’agissant de propositions, difficile encore de distinguer celles qui resteront gravées dans les esprits : seuls le temps et l’usage le diront. Aujourd’hui, la pluralité des graphies pour ces deux mille mots donne plutôt l’impression d’un surcroît de complexité, un peu comme si tout le monde devait désormais pratiquer deux langues maternelles.


Preuve que le débat fait toujours rage, n’hésitez pas à parcourir la discussion animée à ce sujet, sur le forum du site Categorynet.com :
forum.

En ce qui concerne les correcteurs, l’usage est le suivant : nous n’appliquons ces recommandations que si notre employeur ou client en fait expressément la demande. Par ailleurs, si, pour un mot donné, deux graphies sont aujourd’hui totalement licites, il semble plus cohérent d’appliquer la règle du tout ou rien dans un même texte. En effet, ne trouveriez-vous pas choquant de voir cohabiter les mots « évènement » et « événement » dans un même contenu, manuscrit ou billet ? C’est en tout cas le principe adopté dans les travaux que j’effectue.


3 commentaires :

  1. Je ne sais de quand date ce billet — la date n’apparait pas — mais le sujet reste d’actualité en 2017 pour les correcteurs, surtout pour les indépendants non astreints à un cahier des charges de la part d’un éditeur intransigeant.
    Correcteur moi-même, je joue en général le rôle de l’avocat du diable dans cette profession puisque, par défaut, je corrige avec les modifications de 1990 (avec de rares exceptions). La plupart des modifications sont fondées et j’en connais d’autres que l’Académie a oubliées et qui me démangent : professionnalisme et traditionalisme, vous connaissez ?
    Sans entrer dans le détail, les correcteurs devraient plus jouer la pédagogie sur le sujet et moins le conservatisme étroit : après tout, ils sont mieux placés que de nombreuses autres personnes pour voir l’absurdité des certaines graphies et ne pas jouer la carte du je-l’ai-appris-comme-ça, qui donne une idée totalement rétrograde du métier, de gens qui vivent égoïstement de difficultés conventionnelles et parfois aberrantes.
    La plupart des auteurs sont d’accord et comprennent que leurs livres seront lus avec bienveillance si l’on prend soin de prévenir le lecteur : je fais figurer une note en fin d’ouvrage rappelant certains principes de correction, dont l’orthographe rectifiée 1990, ce qui attire de plus l’attention sur le travail qui a été effectué et montre que le livre a été relu avec soin. L’accueil est étonnamment positif, en particulier sur les salons du livre où l’on recueille des réactions directes.
    J’espère que les correcteurs qui liront ma contribution pourront un peu secouer leurs positions souvent tièdes et faire preuve de courage, de curiosité et de solidarité avec les enseignants tenus de faire passer la version « recommandée » avant l’autre. Je pourrais parler aussi des locuteurs de la Francophonie ou de ceux qui apprennent le F.L.E. et que les états d’âme orthographiques de la métropole lassent plus qu’ils ne les charment !
    Il y aura sans doute des réactions offusquées, je ne les connais que trop. Chacun agit de toute façon à sa guise. Mais qu’au moins les professionnels essayent de voir un peu plus loin que les discours convenus qui agacent souvent une bonne partie de la population et ne la rapprochent pas d’un usage réfléchi de la langue écrite correcte…

    • Bonjour Chambaron,

      Pour répondre à votre question, ce billet date du 16 mai 2012. Je pensais que les métadonnées des billets s’affichaient, et ce n’était plus le cas. Je vous remercie de m’avoir gentiment signalé cette lacune, désormais réparée.

      En tant que correctrice indépendante, et de ce fait, prestataire de services, je tiens à vous rassurer : je suis moi aussi scrupuleusement le cahier des charges de mes clients (marche typographique, application ou non des recommandations de 1990, etc.), qui ne sont pas moins intransigeants que les autres éditeurs.

      Je ne suis pas certaine de bien vous suivre quand vous affirmez que le fait d’indiquer que ces recommandations ont été appliquées suffit à prouver que la correction a été soignée. Que je les applique ou non, je n’ai pas pour habitude de bâcler mon travail. Je peux me tromper, mais je ne pense pas être la seule dans ce cas. Mis à part dans le domaine de l’édition scolaire, le fait est qu’aucun de mes clients n’a souhaité entendre parler de « l’orthographe rectifiée de 1990 », jusqu’à présent.
      J’estime qu’en tant que prestataire de services, mon rôle consiste à suivre les consignes de mes clients. Certains préfèrent que j’utilise le Larousse, d’autres le Robert. Certains me demandent de me référer au « Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale », d’autres veulent que j’utilise le « Mémento typographique ». Certains me demandent d’appliquer les recommandations de 1990, d’autres non. Quand on me demande mon avis, rien ne m’empêche de le donner, bien sûr, mais je ne suis pas là pour imposer quoi que ce soit.

      En fin de compte, ce qui me gêne le plus avec ces recommandations, outre la perte de l’étymologie de certains mots, c’est l’existence d’un flou entre les deux usages, qui sont « autorisés ». Un exemple tout simple : ma fille apprend à lire. Certains de ses manuels scolaires sont neufs et appliquent de fait l’orthographe rectifiée. Pour le reste (anciens manuels, livres empruntés à la bibliothèque ou achetés, etc.), ce n’est pas le cas. Je ne crois pas que cela facilite les choses. Et j’imagine, sans être une spécialiste de la question, que le problème se pose aussi dans le cadre de l’enseignement du FLE.
      Autre exemple qui me fait grincer des dents, pour la peine, je l’avoue : trouver les deux orthographes, parfois d’un même mot, dans un même support, « parce qu’on peut faire comme on veut, aujourd’hui », ça me hérisse le poil. Oui, en tant que correctrice, j’aime quand les choses sont homogènes, je préfère la cohérence.

      Pour finir, preuve que ces recommandations ne sont pas forcément toujours bien accueillies, il aura fallu attendre la rentrée 2016 pour les voir fleurir dans tous les nouveaux manuels scolaires où elles ont été apparemment imposées un peu du jour au lendemain (c’est en tout cas l’impression donnée), alors qu’elles datent de 1990.
      Cela étant, quel que soit mon avis sur ces rectifications, je ne pense pas faire preuve de « conservatisme étroit » ou de « tiédeur », ni manquer de courage (il en faut pour exercer cette profession, que l’on soit salarié ou indépendant, vous pouvez me croire) ou être « rétrograde », et encore moins vivre « égoïstement de difficultés conventionnelles et parfois aberrantes ».
      C’est bien grâce aux échanges et aux différences de point de vue que les choses avancent, donc je vous remercie pour votre commentaire sur ce billet.

  2. Bien d’accord avec vous madame Riccardi. Mais on voit à quel point (et au nom de quels principes de « liberté ») il est difficile de faire admettre des règles orthographiques même chez ceux qui devraient vous soutenir. C’est probablement dû à la paresse intellectuelle et à cette mode du « tout-se-vaut » qui font fureur de nos jours. La modernité ne semble pouvoir exister que par le laxisme. Dans votre profession, cela doit vous obliger à consulter systématiquement les nouveaux dictionnaires, autrement dit à avoir « deux langues » à corriger. J’imagine le gain de temps… Dans le même ordre d’idée, on pourrait aussi, pour que tout le monde soit bon au tennis, décider la suppression pure et simple du filet. Nous aurions beaucoup plus de champions…

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